Un atelier d’enluminure au XIXe siècle
Comment mettre en couleur à la main les lithographies imprimées en noir
Madame Élisa Mantois dirige un atelier d’enluminure dédié à la mise en couleur des planches lithographiques. Des coloristes, uniquement des femmes, travaillent sous sa direction selon un rigoureux partage des tâches. Dans ce chapitre, nous proposons une reconstitution d’un atelier d’enluminure au XIXe siècle, à partir d’une recherche documentaire très précise décrivant l’espace, le mobilier et l’outillage, ainsi que le mode d’organisation type de tels ateliers.
Nous avons également réalisé une enquête approfondie sur les traces de Madame Mantois, dont nous rendons compte de différentes façons.
Les dates clefs de la vie de Madame Mantois
Ce chapitre regroupe tous les éléments que nous avons pu découvrir concernant la carrière de coloriste de Madame Élisa Mantois. Chaque date clef est commentée et illustrée par un document de référence. Cette femme remarquable a été reconnue de son vivant, elle a obtenu de nombreuses distinctions pour son travail d'enluminure, en particulier la mise en couleur de l'atlas de Bourgery et Jacob, le Traité complet de l'anatomie de l'Homme, mais également pour ses recherches sur le blanc de zinc, une préparation qu'elle a contribué à mettre au point et à faire connaître.
1839 – Mention honorable pour Madame Élisa Mantois
La première mention du nom de Madame Élisa Mantois que nous avons trouvée est relative à la mention honorable qui lui est décernée pour son travail de coloriste à l’occasion de l’Exposition des produits de l’industrie française en 1939.
« Le coloriage des gravures peut difficilement être considéré comme un art : il faut, au contraire, le ranger parmi les industries, et il gagne en importance quand il est appliqué avec goût à des gravures utiles, et exécuté cependant à bon marché. Ces conditions se trouvent réunies dans les grandes planches d’anatomie coloriées par madame Mantois, qui a consacré son talent à cette spécialité, et le jury lui décerne une mention honorable. »
Rapport du jury central, Exposition des produits de l’industrie française en 1839, Paris, L. Bouchard-Huzard, 1839, t. 3
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1841 à 1856 – Les différentes adresses de l’atelier de Madame Mantois
En consultant les différentes éditions de l’« Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration » parues entre 1841 et 1856, dans lesquelles figure Madame Mantois comme pratiquant l'enluminure, nous avons noté trois adresses différentes pour son atelier :
– de 1841 à 1849 : 14, rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, Paris ;
– de 1850 à 1852 : 4, rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, Paris ;
– de 1853 à 1856 : 82, rue Bonaparte, Paris.
Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration : ou almanach des 500 000 adresses, Paris, Firmin Didot Frères, 1841 à 1856
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
1844 – Présentation des ouvrages coloriés par Madame Mantois
Cinq ans plus tard, dans le catalogue des produits admis à l’Exposition quinquennale de 1844, les différents ouvrages coloriés par Madame Élisa Mantois sont ainsi présentés : « Maladies de peau, Aliberts. – Pathologie, Cruveilhier-Chazal. – Pathologie, Ricord-Rouvier. – Traité complet de l’anatomie de l’homme, Bourgery et Jacob. – Anatomie élémentaire, des mêmes auteurs. – Masson, Abdication de Christine, reine de Suède. – Cours d’accouchement, Moreau, Baillière. »
Catalogue explicatif et raisonné des produits admis à l’Exposition quinquennale de 1844, Paris, Aubert et Cii, 1844
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
1844 – Citation favorable pour Madame Mantois
Le jury de l’exposition quinquennale de 1844 décerne une nouvelle citation favorable à Madame Élisa Mantois pour ses talents de coloriste : « Le coloris appliqué aux planches anatomiques est d’un heureux emploi, en ce qu’il constitue un perfectionnement réel de l’iconographie, sans augmenter considérablement le prix de ce genre d’ouvrage.
Le talent de Madame Mantois dans ces sortes de travaux mérite d’être cité favorablement.»
Rapport du jury central, Exposition des produits de l’industrie française en 1844, Paris, Imprimerie de Fain et Rhunot, 1844, t. 3
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
1849 – Médaille de bronze pour Madame Mantois
Cinq ans plus tard, dans le catalogue des produits admis à l’Exposition quinquennale de 1849, le jury décerne une médaille de bronze à Madame Élisa Mantois et loue son remarquable travail d’enluminure en ces termes :
« Depuis vingt ans , Mme Mantois s'occupe du coloriage des belles planches anatomiques de MM. Bourgery et Jacob. Le tableau qu'elle a soumis cette année comme échantillon des perfectionnements apportés à son industrie lui a valu, de la part du jury, des éloges sous plus d'un rapport. En effet, Mme Mantois est arrivée à une perfection de coloris et de vérité remarquable par l'heureuse combinaison de ses couleurs, qui conservent néanmoins une fixité durable, ainsi que le prouvent d'autres pièces provenant de l'exposition de 1844. qu'elle a eu soin de placer en regard de ses nouveaux produits , comme terme de comparaison. L'habile emploi qu'elle fait d'un nouveau blanc, pour retracer les nombreux filets
nerveux qui figurent sur sa pièce , donne un nouveau relief à ce chef d'oeuvre iconographique. Tout en perfectionnant ses moyens de reproduction, Mme Mantois est encore arrivée à en diminuer singulièrement les prix, et le jury lui accorde la médaille de bronze. »
Rapport du jury central sur les produits de l’agriculture et de l’industrie exposés en 1849, tome III, Paris : Imprimerie nationale, 1850, t. III, 545
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1850 – Participation de Madame Mantois à l’Exposition Universelle
Dans l’Annuaire général du commerce de 1854, Madame Mantois cite son admission à l’Exposition Universelle de 1850 « pour le coloris ».
Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration : ou almanach des 500 000 adresses, Paris, Firmin Didot Frères, 1854
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
1850 – Médaille d’argent pour Madame Mantois
« Dans sa séance générale du mercredi 5 juin 1850, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale a décerné une médaille d’argent à Madame Élisa Mantois, pour le coloriage des dessins, principalement d’anatomie, et pour l’application du blanc de zinc à l’aquarelle. »
M. Alphonse Chevalier est chargé du rapport au comité des arts chimiques sur les dessins coloriés d’anatomie de Madame Mantois.
Ce rapport riche d’enseignements présente le métier de coloriste, les recherches et les différents apports de Madame Mantois quant aux techniques d’enluminure appliquées en particulier aux sujets anatomiques et à la préparation du blanc de zinc dont elle a contribué à répandre l’usage.
« Madame Mantois a consacré une partie de son temps à étudier les ouvrages qui traitent de son art, à suivre les cours faits par Monsieur Michel-Eugène Chevreul, à étudier les couleurs, leur fixité, les changements qu’elles éprouvent par le contact de l’air, de la lumière ; elle acquit ainsi, par l’étude et l’observation, des connaissances profondes qu’elle appliqua et qu’elle propagea chez les ouvrières d’un atelier qu’elle a élevé et dans lequel on trouve des femmes qu’elle emploie depuis vingt-deux ans. »
M. A. Chevalier détaille également comment Madame Mantois a procédé pour mettre en couleur les planches du « Traité complet de l’anatomie de l’Homme ».
« Alors Madame Mantois, surmontant le dégoût qu’inspire, en général, à la femme la vue des débris de nos organes, alla étudier sur la nature les objets dont elle devait reproduire les couleurs. C’est en étudiant ainsi qu’elle est parvenue à donner à la reproduction des organes ce cachet de vérité qui caractérise les planches coloriées du grand ouvrage d’anatomie dont vous avez eu un spécimen sous les yeux, en même temps que celui d’ouvrages publiés antérieurement. »
M. A. Chevalier expose enfin les études de Madame Mantois relatives au blanc de zinc, à ses qualités et à ses usages.
« Ce blanc est fixe, il s’emploie avec facilité, il se superpose sur les couleurs qui peuvent se sulfurer, il les maintient dans leur état normal.
Le blanc, dans le plus grand nombre de cas, devant représenter des saillies pour passer du blanc au noir, il en résulte que souvent, au lieu d’obtenir des saillies, on obtient des anfractuosités, ce qui détruit l’effet du coloris. Le blanc de zinc ne présente pas ses inconvénients. »
M. Alphonse Chevallier, au nom du comité des arts chimiques, Société pour l’encouragement de l’industrie nationale, Rapport sur les dessins coloriés d’anatomie de Madame Élisa Mantois, Paris, Imprimerie de Madame Veuve Bouchard-Huzard, 1850
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
1851 – Articles de Madame Mantois : « Recherches historiques sur le coloris »
De mars 1851 à décembre 1851, Madame Mantois publie dans les « Annales de l’imprimerie » une série d’articles historiques qui témoigne de ses recherches sur le métier de coloriste. Elle y analyse dans le détail de nombreuses publications antérieures. Elle porte un regard d’experte, pratique et esthétique et parfois très critique, sur les techniques employées : du coloriage au pochoir des premières cartes à jouer au grand ouvrage d’Histoire naturelle de Buffon publié en 1770.
Dans l’article du mois de décembre, elle cite les propos de ce dernier :
« Malgré quelques imperfections que représente le coloris, il est de beaucoup plus explicite que le noir ; le coloris est utile dans toutes les parties de l’histoire naturelle, mais il est certain que pour les oiseaux, la coloration est aussi nécessaire que la forme, et d’autant plus indispensable, que c’est à de légers changements de couleur qu’on reconnaît l’âge et le sexe d’un animal. Ce seul ouvrage, dit encore Buffon, a constamment occupé 80 personnes pendant cinq années de publication. »
Comme l’écrit Madame Mantois, « Ce chiffre de mains employées pour un seul ouvrage doit démontrer combien de personnes sont occupées dans cette utile profession. »
Jules Desportes (direction), Annales de l’imprimerie, Journal spécial de la typographie, de la lithographie, de la taille-douce, de la photographie…, Paris, 1852
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
1852 – Participation de Madame Mantois à l’Exposition Universelle de Londres
Dans l’Annuaire général du commerce de 1854, Madame Mantois cite son admission à l’Exposition Universelle de Londres en 1852 « pour la préparation du blanc ».
Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration : ou almanach des 500 000 adresses, Paris, Firmin Didot Frères, 1854
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
1852 – Application faite par Madame Mantois, du blanc de zinc à la peinture
Le 16 juin 1852, Alphonse Chevalier fait un nouveau rapport au nom du comité des arts chimiques sur le travail de Madame Mantois. Il y présente ses recherches à propos du blanc de zinc, et détaille les « résultats qu’elle a obtenus des applications du blanc de zinc à l'aquarelle , la gouache , la peinture à l’huile, enfin à la préparation des crayons, applications qui, à l'exception d'une seule, n’avaient pas été faites jusqu’ici ». Les recherches de Madame Mantois sont motivées par la conservation des objets d’art : le blanc de plomb majoritaire utilisé alors perd de l’harmonie et s’altère avec le temps en passant du blanc au gris. La volonté de Madame Mantois est également de soustraire les artistes aux dangers qui résultent de l’emploi du blanc de plomb, hautement toxique.
« Madame Mantois, qui à la fin de 1849 vous a fait connaître les applications qu'elle avait faites du blanc de zinc pour colorier les dessins d'anatomie, les fleurs, etc., a continué ses études sur l'application de cet oxyde et sur les moyens à mettre en pratique pour l'approprier et le rendre convenable à la gouache et à la peinture à l'huile. Madame Mantois a tenté de faire pour la partie artistique ce que M. Leclaire a réalisé pour la peinture en général, c'est à-dire qu'elle a pour but de faire substituer, dans la peinture artistique, le blanc de zinc au blanc de plomb.
Elle vous a adressé, avec sa lettre,
1° Un pastel exécuté au blanc de zinc ;
2° Une gouache exécutée en partie avec le blanc de zinc, en partie avec le
blanc de plomb ;
3° Une peinture à l'huile exécutée de même en partie avec le blanc de
zinc et en partie avec le blanc d'argent.
Ces objets ont été exposés à l'action de l'acide sulfhydrique, et, comme cela devait être, le pastel a parfaitement conservé sa couleur blanche ; la gouache a bruni sur la partie « teintée » avec le blanc de plomb , elle n'a pas bougé sur la partie teintée avec le blanc de zinc ; il en a été de même avec la peinture à l'huile, la partie exécutée avec le blanc de plomb est brune, celle avec le blanc de zinc a conservé sa couleur primitive.
Des peintres auxquels madame Mantois a soumis le blanc de zinc qu'elle
prépare pour la peinture en ont fait usage, et par des lettres ils font connaître le parti qu'ils ont tiré de son application. »
Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, Volume 51, Paris, Madame Veuve Bouchard-Huzard, 1852
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